2016. The epilogue.
Les flics de 2004 et le municipal d'Eze devraient venir me coffrer. Je le leur demande. Je n'ai pas roulé, je ne sais même pas si j'ai entendu le quatraplat parler une seule fois.
Année ultra pourrie, le cœur n'y est pas. La boule mortelle continue à dégommer l'entourage. Bowling macabre.
Décembre, c'est trop. Il faut réagir, se battre. Rocky est posé sur l'étagère près du flipper et je croise son regard à chaque descente au sous-sol. Blondin a rangé son flingue mais il bute quand même les mecs qui en veulent à sa Gran Torino...
Je reprends la 914 avec moi. Les freins sont grippés, elle peine à quitter son emplacement. Des soucis électriques aussi. Point de vue moteur, rien à dire, elle tourne parfaitement. Je remets le bolide d'aplomb durant quinze jours et tout re-fonctionne à merveille.
Depuis, nous sommes tous passés en 2017, à part nos chers disparus... La 914 est à quelques mètres de moi. Je ne l'abandonnerai plus que pour son dernier voyage, un musée méritant, avec une petite plaque qui me rappellera à ceux qui ne m'auront même pas connu... Bon, ça reste une vue de l'esprit, puis faudra quand même me payer si j'ai encore ma tête, les affaires étant les affaires !
Après la 964, le déprimé a enchaîné plusieurs berlines insipides et roule désormais en Jaguar XK8. Il vit maintenant à Barcelone. Nous sommes en contact depuis plusieurs décennies et nous voyons environ une fois par an.
Le copain fumeur est parti travailler en Corse, dans la restauration. Je n'ai plus jamais entendu parler de lui.
Je repasse de temps en temps devant la maison du bon samaritain qui a abrité mon auto, ce jour de janvier neigeux... Je laisse volontairement la rocade et prends exprès l'ancienne route qui passe devant chez lui... Je ne sais pas s'il vit toujours là, ni s'il vit tout court...
Je ne sais pas ce qu'est devenu le garagiste en chemise blanche et je ne veux pas le savoir.
J'espère que le policier d'Eze a pu récupérer sa chemise au lavage et qu'il garde de tout ça un souvenir amusé.
Je ne sais pas ce qu'il est advenu de Phil, ni de son mariage, ni de son buggy, ni de rien. Je ne l'ai jamais revu.
Le jeune Antoine, après son BTS, a trouvé du travail à Grenoble. Il y vit toujours, avec la soeur du dépressif. Ils ont deux enfants. Je n'ai plus de nouvelles de lui.
J'espère que son père, l'ex-pompiste, profite bien de son oisiveté. Je ne l'ai jamais revu.
A son départ en retraite, Souchon a vendu la ferme du dos brisé et s'est exilé en Thaïlande pendant six ans. Mal du pays, il est rentré et vit maintenant dans un appartement, non loin de l'avenue de la courroie d'alternateur cassée. La France, finalement, c'est pas si mal... On ne se voit plus, juste une carte de nouvel an et d'anniversaire auxquelles il répond d'un seul mot laconique conclu par ses initiales.
Clooney, après une carrière mouvementée, a troqué son blouson à clous contre un costume et une casquette, chauffeur de personnalités politiques, et il ne fume plus dans la voiture des autres. Je l'ai encore au téléphone, deux ou trois fois par an.
La maniérée a bien vieilli, le temps a rabaissé ses ambitions prétentieuses et la hauteur de ses talons. Elle doit maintenant porter des chaussures plates. Elle n'est jamais devenue première dame de qui que ce soit. Je ne l'ai plus jamais croisée ni décroisée.
La brune attend 2024 pour téléphoner.
Le propriétaire du fameux immeuble, ce vieil italien alerte, malgré sa rengaine, n'est pas rentré en Calabre. Il s'est fait construire un château de l'autre côté de l'avenue et encaisse toujours ses loyers en veillant vaillamment sur son patrimoine.
Jonasz vit toujours dans son appartement cossu, avec la 914/6 en bas, et poursuit ses conférences scientifiques sur les énergies renouvelables...
Un jour, trois ou quatre ans, j'achetais du tabac pour la bonne sœur... Un gars m'interpelle, ça arrive souvent, ces acheteurs compulsifs, vrais ou mythomanes, des plus vaniteux aux plus sympathiques... Le dernier était plaisant, je lui raconte un peu la voiture, les sornettes banales...
« Ah, je comprends que vous n'êtes pas vendeur ! En plus, c'est allemand, on n'est jamais embêté avec ça, c'est du solide ! Quarante ans et ça roule encore ! Pensez donc ! En plus, vous avez des souvenirs avec elle ! »
« Embêté avec cette voiture ? Vous plaisantez ? Jamais !... Des souvenirs ? Bah, juste quelques-uns... ».
L'auto, elle, comme à ses débuts, vagabonde maintenant très souvent, je me bats même pour gagner le concours du plus gros kilométrage annuel du club 914, à défaut de remporter le concours photo du club 944...
Je reste un peu salaud, puisque je néglige à présent la Porsche à moteur avant, même si je tâche de maintenir la garde partagée avec moi-même... Ceux qui me disent posséder plus de deux voitures anciennes en parfait état...
Alors, pour expier mon mal, je prêche la bonne parole pastorale et milite pour la sécurité routière parce que, dans la vie, faut tout de même être raisonnable !